KOPPA
VS.
L'ALLANT DE SOI !

vendredi 23 janvier 2015

Faut-il détruire Carthage ?

Voici un devoir intéressant. Ca ne peut pas faire de mal. 

FAUT-IL DÉTRUIRE CARTHAGE ?

Zone d'influence de Carthage et de Rome au début de la Deuxième Guerre Punique

I. DEUX EMPIRES SUR UN TERRITOIRE :

CARTHAGE AVANT ROME :
Pour comprendre la menace que Rome voyait en Carthage, il faut d'abord connaître la puissance de celle-ci à son apogée, c'est-à-dire au 2e siècle avant notre ère.
La légende de Didon qui fonda sa « nouvelle ville » ne montre pas seulement le caractère mythique de cette ville mais également sa richesse, qui n'a cessé de croître. Car Carthage est avant tout une place stratégique située dans l'actuelle Tunisie ce qui fait d'elle une puissance commerciale.
En effet, en 700/650 avant notre ère, Carthage était une cité avec laquelle il fallait compter du fait de ses nombreux réseaux commerciaux. Tournés vers la mer, elle représentait une importante plate-forme commerciale et culturelle pour l'Afrique du Nord et la méditerranée occidentale à tel poids que l'on peut parler d'un empire méditerranéen sous son autorité. Empire qu'elle étend en conquérant les mers ce qui lui permet à la fois de développer ses routes commerciales ; de contrôler de nouveaux territoires tel que les colonies en Corse, en Sardaigne, aux Baléares, à Ibiza et en Afrique du Nord qui génèrent de nombreuses richesses ; en bref, d'être une ville attractive donc une capitale dynamique. On peut donc dire que les prouesses techniques de Carthage sur les mers lui apportent pouvoir et richesse.
Cette puissance commerciale se double une puissance militaire conséquente. Celle-ci se reflète dans le port immense que possède Carthage : il abrite des centaines de navires de guerre. En effet, au 4e siècle avant notre ère, Carthage dominait déjà la méditerranée grâce à sa flotte. Organe vitale d'une ville navale et commerciale, il faut en réalité parler de deux ports séparés à Carthage : le port commercial avec ses quais classiques et le port circulaire à usage militaire qui pouvait abriter 220 navires. Aucune autre cité n'avait l'équivalent en capacités, en puissance ou en compétences maritimes.
C'est grâce à cette puissance que la ville parviendra à se relever durant les deux premières guerres puniques. Mais c'est aussi à cause de cette puissance que Rome verra en Carthage une épée de Damoclès menaçant leur cité et leur empire commercial naissant.

LES GUERRES PUNIQUES :
Carthage, on le sait, sera détruite durant la Troisième Guerre Punique par Rome. Revenir sur ses affrontements permet de mieux cerner la relation qui unie ou plutôt oppose les deux villes.
La Première Guerre Punique marque le premier affrontement notable entre Rome et Carthage. Celui-ci à lieu autour de la Sicile : lieu stratégique pour le commerce parce qu'elle se trouve en plein milieu de la plus grande route maritime. Contrôler la Sicile revient donc à contrôler cet axe commercial dominant. A l'issue de cette première guerre, Rome gagne la Sicile mais aussi les positions carthaginoises de Corse, de Sardaigne et des îles entre la Sicile et l'Afrique. Les vainqueurs en profitent pour imposer un lourd tribut à Carthage dans l'espoir de la paralyser.
Privée d'une partie de son empire, c'est donc vers l'Espagne que se tourne Carthage entre la Première et la Deuxième Guerre Punique pour engorger de nouvelles richesses.
La ville subit une nouvelle défaite avec la Deuxième Guerre Punique en 202 avant JC et doit de nouveau se soumettre aux conditions romaines. Les indemnités auxquelles elle doit faire face sont lourdes : entre accords de paix drastiques, dépossession de sa puissance militaire et perte de leur territoires d'outre-mer, leur empire est désormais confinés aux terres autour de Carthage. Rome, quant à elle, continue à étendre son empire sans avoir à les affronter à nouveau.


II. ENJEUX DE LA TROISIEME GUERRE PUNIQUE :

LE DISCOURS DE CATON L'ANCIEN :
Après la Deuxième Guerre Punique, Carthage reçoit une mission diplomatique romaine, selon les traités passés à la fin de la guerre, pour gérer son différent avec la Numidie. L'un des membre de cette mission est Caton. En 550 avant notre ère, Caton l'Ancien est conscient de la position stratégique de Carthage : cette dernière représente une place forte indépendante trop proche de la Sicile et de l'Italie pour qu'on la laisse intervenir dans le commerce maritime ou maintenir une présence militaire. C'est pourquoi il lui est radicalement opposé dans ses discours politiques. Lors de sa mission diplomatique, lorsqu'il voir la prospérité qu'a retrouvé Carthage depuis la fin de la dernière guerre, il rentre à Rome et avertit les Sénateurs de la possibilité d'une nouvelle conquête de Carthage en finissant tout ses discours par « Ceterum censeo Carthaginem esse delendam » (« En outre, je pense que Carthage est à détruire »).

Un de derniers discours de Caton au Sénat en 149, devant une délégation de Carthage :
« Qui sont ceux qui ont souvent violé le traité ? Qui sont ceux qui ont fait la guerre de la manière la plus cruelle ? Qui sont ceux qui ont ravagé l’Italie ? Les Carthaginois. Qui sont ceux qui demandent le pardon ? Les Carthaginois. Voyez comment il convient d’accueillir leur demande. »

Ainsi, nous arrivons à la question centrale : FAUT-IL DETRUIRE CARTHAGE ?

Cette question constitue l'un des débats politiques les plus significatifs de l’histoire romaine car elle met en évidence des points fondamentaux de leur pensée politique. Au cœur de cette délibération se tiendront des hommes comme Caton, convaincu de la dangereuse perfidie de Carthage, et Nasica, s'opposant à lui en faveur de Carthage.


LA VENGEANCE POSSIBLE DE CARTHAGE :
Comme nous l'avons vu à travers la description de Carthage avant Rome puis son affaiblissement temporaire après les deux premières guerres puniques, Carthage parvient toujours à retrouver sa prospérité grâce à son emplacement stratégique et à son savoir commercial. De plus, il est important de noter que la perte de certains de ses territoires, dont la Sicile, durant la Première Guerre Punique, à motivé Hannibal à marcher sur Rome durant la Deuxième Guerre Punique dans un esprit de vengeance.
C'est pourquoi il est facile de comprendre pourquoi Caton, qui retrouve Carthage complètement reconstituée lors de sa mission diplomatique, à le sentiment que la guerre de Carthage contre Massinissa est un exercice de préparation à une guerre contre les Romains. La menace que représente Carthage peut être réelle et, qui plus est, se situe à seulement trois jours de mer de Rome. Carthage constitue donc une menace constante qui, une fois sa prospérité assurée, peut à nouveau se retourner contre Rome pour récupérer ses colonies perdues. Caton ne voit qu'une solution pour assurer l'avenir proche ou lointain de Rome : l’annihilation totale de Carthage puisque les accords de paix drastiques et la dépossession de leur territoire ne suffit pas.

Discours de Caton, De bello Carthaginiensi :
« Les Carthaginois sont déjà nos ennemis; car celui qui prépare une action contre moi, de manière à pouvoir faire la guerre au moment qui lui convient, est déjà mon ennemi même s’il n’utilise pas encore d’armes »

LA DEFENSE DE CARTHAGE :
Carthage rompt le traité de non-intervention militaire par ses préparatifs, raison pour laquelle le Sénat envoie des émissaires. Est-ce de la légitime défense ? C'est en tout cas la version qu'elle défend et que reprendra Nasica dans son argumentation lorsqu'il cherchera à reinstituer une paix suivant les mêmes conditions qu'avant.
D'un côté, les violations incessantes des traités prouvaient les mauvaises intentions de Carthage, donnant ainsi raison au discours de Caton l'Ancien. Mais d'autre part, Carthage est face à un choix délicat : la ville est attaquée mais ne peut pas se défendre sous peine de rompre le traité avec les Romains tout en sachant que, jusque là, les décisions d’arbitrage prises par les Romains étaient toujours en leur défaveur.

PRESERVER LA PAIX ROMAINE :
Comme nous l'avons dit, Nasica défendait Carthage dans ses discours au Sénat. Contrairement à ce que l'on pourrait s'attendre, il ne cherchait pas à minimiser la menace que représentait Carthage mais voyait en elle un avantage pour Rome. En effet, la puissance de Rome ne se reconnaît pas à la faiblesse des autres, mais par le fait que Rome se montre plus grande que les Grands, dont Carthage. Ainsi, la peur qu'inspire Carthage et qui se reflète bien dans les discours de Caton obligent les Romains à s'unir et à exercer un gouvernement juste et digne. Donc paradoxalement, Carthage est le meilleur moyen d’assurer la pérennité et l’extension d’une hégémonie romaine.
Nasica, Rome ayant été témoin de l’intrusion d'Hannibal en Italie sans parvenir à assiéger la capitale, croyait de toute façon les Carthaginois trop faibles pour dominer Rome, mais cependant assez forts pour qu’on ne pût se permettre de les mépriser. Le secret de la préservation du pouvoir du Sénat serait donc, selon Nasica, un ennemi commun.

UNE GUERRE DÉCIDÉE AVANT LA GUERRE :
A Rome, la campagne de Caton l'Ancien en faveur de la destruction de Carthage réussit à convaincre le Sénat et l'entrée en guerre avait donc été décidée depuis longtemps. Cette guerre ayant été décidée, les Romains auraient attaché une valeur extrême à trouver une justification valable puisse être présentée au monde extra-italique.
La destruction de Carthage, qu'elle veuille se venger ou non dans un futur proche ou lointain, ne dépendait donc pas de ses actions. Son destin était inévitable comme le montre la dernière phase d’un conflit entre Rome et Carthage qui conduira, à l'issue d’une courte campagne et d’un long siège qui dure de 149 à 146 avant JC, par l’anéantissement de la cité punique, dont la capitale est rasée.


III. ROME SANS LA CARTHAGE PUNIQUE :

Cependant, malgré l'issue connue de la Troisième Guerre Punique, la question reste en suspens : FALLAIT-IL DETRUIRE CARTHAGE ?

CONSEQUENCE DE LA DESTRUCTION DE CARTHAGE :
Polybe, présent au moment de la chute de la ville, raconte que devant l’étendue de sa victoire et des destructions, Scipion Émilien aurait ressenti un sentiment d’angoisse en remuant de sombres pensées au sujet de la destinée de sa patrie. Il aurait alors cité un vers d’Homère : « Un jour viendra où elle périra, la sainte Ilion, et, avec elle, Priam et le peuple de Priam à la bonne lance ».
Nasica pensait qu'en cas de destruction de la rivale Carthage, les Romains pouvaient s’attendre à une guerre civile et que le déséquilibre des puissantes cités entraîneraient leurs alliés à haïr leur hégémonie. C’est ce qui se produisit après la destruction de Carthage où on assista à une révolution, une guerre contre les alliés et guerre civile. En effet, la même année, Rome rasa Corinthe, s'empara de la Grèce, et du jour au lendemain entendit son pouvoir unique sur toute la méditerranée. L'équilibre instauré entre l'empire carthaginois et l'empire romain fut donc renversé au profit d'un seul.
Ce comportement est à mettre en relation avec la décision des Romains de raser Carthage avant même l’engagement officiel des hostilités. Un pas en avant est franchit pour Rome dans la pratique de son pouvoir hégémonique mais c'est un pas en arrière qui est fait dans le domaine de son respect envers l'équilibre entre les autres cités. Rome prend conscience de son pouvoir mais cette prise de conscience ne semble pas être suivie d'une maturation politique adéquate à sa puissance, à en juger par ses agissement à Corinthe.
Si la destruction de Carthage est vue comme un des débats politiques les plus significatifs de l’histoire romaine, c'est aussi parce qu'on assiste au « premier génocide » de l'histoire selon Ben Kiernan dans son article « Le premier génocide. Carthage 146 A.C. » ou au premier « crime gratuit » de Rome, selon Fabien Limonier. Ainsi, beaucoup d'articles font le parallèle entre le nazisme et l'Antiquité comme : « Comment meurt un Empire : le nazisme, l’Antiquité et le mythe » par Johann Chapoutot ou « Racisme fasciste et antiquité » par Philippe Foro.


CONCLUSION :

L'impérialiste défensif « était déjà avancée par les Romains eux-mêmes pour justifier leur conquête militaire. » écrit Hugo Castignani dans « L'impérialisme défensif existe-t-il ? Sur la théorie romaine de la guerre juste et sa postérité ». Cette thèse défend la formation de l'Empire romain à partir de la notion d'impérialisme défensif, justifiant ainsi dans le discours des politiques la guerre préventive. C'est ainsi que ce justifient les Romains devant les ruines de Carthage.
Bien que nous n'ayons prit en compte que l'aspect économique et militaire du débat, la destruction de Carthage est également une destruction culturelle, même si certains des livres de la ville seront sauvés et légués à des romains.
La question « Faut-il détruire Carthage ? » dépend essentiellement non pas des agissement plus ou moins douteux de Carthage mais de Rome et de sa politique. Car Rome ne détruit pas seulement Carthage, elle fait aussi le choix d'une hégémonie sans opposition dans le sang et le feu. Scipion Émilien fait raser la ville et vendre les survivants mais ce moment de doute et d'interrogation sur le destin de sa cité devant les ruines de Carthage montre bien qu'il a conscience qu'un point de non retour vient d'être franchit.


BIBLIOGRAPHIE ET AUTRES SOURCES :

Documentaire : "Les Bâtisseurs d'Empires - Grandeur et Décadence de Carthage"
Sources antiques : Polybe, Tite-Live, Plutarque (Vie de Caton l'Ancien)
"L’opposition de Nasica à la destruction de Carthage" de M. Matthias Gelzer
"Le premier génocide :Carthage" par Ben Kiernan

Latin nasica, « qui a le nez pointu » comme le singe Nasique de Bornéo. Le regard de ce Nasica me permet d'imaginer l'intensité des discours politique du Nasica de l'Antiquité ! 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire