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L'ALLANT DE SOI !

dimanche 15 juin 2014

Soyez l'Odyssée

Servons-nous d'abord de Platon (enfin ce que l'on en comprendra) pour mieux rebondir ensuite. 
Dans le Banquet (puis dans Phèdre) Platon donne une vision progressive de l'amour :


1. Amour d’un beau corps - impression sensible (images, apparences) : 
« Tout commence par l'amour d'un beau corps : c'est la forme première de l'amour qui prend naissance dans notre réalité physique vivante : la sexualité. Un beau corps fascine le regard, éveille le désir. [...] Rien d'étonnant à ce qu'il produise [...] une passion exclusive « l'amour violent d'un seul ». »
2. Amour des beaux corps - opinion droite (opinions vraies, mais non justifiées) :
« La seconde étape est l'amour de tous les beaux corps : l'amour ne s'adresse plus alors à un seul corps, mais à la beauté de la forme telle qu'on peut l'apercevoir dans tous les corps. [...] Il s'agit d'aller de la beauté d'un objet à celle de plusieurs. [...] L'amour de la beauté physique sous toutes ses formes est un premier pas vers l'unité de l'idée. [...] »

3. Amour des belles âmes - pensée discursive (raisonnements et définitions) :
« La troisième étape est l'amour des belles âmes : passer de l'amour des beaux corps à celui des belles âmes c'est refuser de se laisser prendre aux apparences. Un beau corps peut masquer la sottise et le vice. Inversement un corps médiocrement attirant peut cacher un homme admirable par sa bonté, sa sagesse et son intelligence. Ces qualités intérieures provoquent un rayonnement qui est plus attirant que celui de la seule perfection physique. [...] »
4. Amour du Beau en soi - intuition intellectuelle des essences (Idées) :
« [...] La cinquième étape enfin est l'amour de la Beauté en elle-même, Beauté dont on peut définir les caractères : elle est éternelle, elle n'est soumise ni à la génération ni à la corruption, elle est immuable, elle ne change pas, elle est totale, elle n'est pas belle ici et laide là, elle est absolue, elle ne dépend pas de la relativité d'un jugement, elle est une. Il n'y a qu'une seule idée de la Beauté, elle est immatérielle : elle n'a aucun corps. »
Discours de Diotime extrait du Banquet de Platon :

Ces mystères d'amour, Socrate, sont ceux auxquels, sans doute, tu pourrais être toi-même initié. Quant aux derniers mystères de la révélation, qui, à condition qu'on en suive droitement les degrés, sont le but de ces premières démarches, je ne sais si tu es capable de les recevoir. Je te les expliquerai néanmoins, dit-elle : pour ce qui est de moi, je ne ménagerai rien de mon zèle ; essaie toi de me suivre, si tu en es capable ! Il faut, sache-le, quand on va droitement à cette fin, que, dès la jeunesse, on commence par aller à la beauté physique, et, tout d'abord, si droite est la direction donnée par le dirigeant de l'initiation, par n'aimer qu'un unique beau corps, et par engendrer à cette occasion de beaux discours. Mais ensuite il faut comprendre que, la beauté résidant en tel ou tel corps est sœur de la beauté qui réside en un autre, et que, si l'on doit poursuivre le beau dans une forme sensible, ce serait une insigne déraison de ne pas juger une et la même la beauté qui réside en tous les corps : réflexion qui devra faire de lui un amant de tous les beaux corps et détendre d'autre part l'impétuosité de son amour à l'égard d'un seul individu ; car un tel amour, il en est venu à le dédaigner et à en faire peu de cas. Ensuite de quoi c'est la beauté résidant dans les âmes, qu'il juge d'un plus haut prix que celle qui réside dans le corps ; au point que, si la beauté qui convient à l'âme existe dans un corps dont la fleur a peu d'éclat, il se satisfait d'aimer un tel être, de prendre soin de lui, d'enfanter pour lui des discours appropriés, d'en chercher qui soit de nature à rendre la jeunesse meilleure ; de façon à être amené à considérer cette fois le beau dans les occupations et les maximes de conduite ; et d'avoir aperçu quelle parenté unit à soi-même tout cela, cela le mène à faire peu de cas du beau qui se rapporte au corps. Mais après les occupations son guide le conduit aux connaissances, afin, cette fois, qu'il aperçoive quelle beauté il y a dans des connaissances et que, tournant son regard vers ce domaine, déjà vaste, du beau, il n'ait plus, pareil au domestique d'un unique maître, un attachement exclusif à la beauté, ni d'un unique jouvenceau, ni d'une occupation unique, servitude qui ferait de lui un pauvre être et un esprit étroit ; mais afin que, au contraire, tourné vers cet océan immense du beau et le contemplant, il enfante en grand nombre de beaux, de sublimes discours, ainsi que des pensées inspirées par l'amour sans bornes pour la sagesse ; jusqu'au moment où la force et le développement qu'il y aura trouvés, lui permettront d'apercevoir une certaine connaissance unique, dont la nature est d'être la connaissance de cette beauté dont je vais maintenant te parler.

Au centre, "soi". Les pétales ne sont que les différentes étapes vers l'amour du Beau de soi (cf. 4). Pétales qui l'éloigne le "moi" de lui-même par le désir (cf. 1) ou l'attirance (cf. 3) : une cherche à l’extérieur pour trouver quelque chose qui ne s'y trouve pas. Apprendre de ses erreurs, s'améliorer, recommencer, évoluer. Comprendre enfin que ce n'est une chose à recherche autre part qu'en soi puis dans toute chose (un peu comme l'Amour Absolu).

Vous avez sûrement noté les références à Ulysse dans cette fleur ! C'est normal : il s'agit de la transition entre Platon et l'Odyssée ! 

Alors que Luc Ferry voit dans l’Odyssée la thématique de l'oubli, que cela soit à travers Poséidon cherchant à faire oublier à Ulysse son voyage, le chant des sirènes ou encore l'épisode chez Circée ; et que d'autres voient dans son errance la construction même de l'humain :
« Il est devenu « Personne » comme il l’a annoncé, par ruse, au Cyclope. Ce n’est qu’en entendant sa  propre histoire de la bouche d’un autre, l’aède Phéacien Démodocos, qu’il reconquiert pleinement son identité : il se trouve devant l’Ulysse passé, celui qui inventa la ruse du cheval de Troie, et peut ainsi mettre en perspective sa propre existence. »
On comprend mieux pourquoi l'Odyssée signifie exactement "les aventures d'Ulysse" (Odusseus, en grec). Le titre prend son sens car Ulysse par de chez lui (comme le centre de la fleur), il s'éloigne (et hop ! un pétale), oubliant puis réapprenant qui il est, se rapproche de Ithaque (chant X) puis s'en éloignant à nouveau pour enfin retourner chez lui (chant XIII), se connaissant, étant devenu pleinement Ulysse. 
Ainsi, Ulysse, partie de "Ulysse", est devenu Ulysse après un voyage qui l'a conduit vers l’extérieur, vers la confrontation et la recherche de soi. 

« Heureux qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage »

Que cela soi par mon interprétation (presque) personnelle de la dialectique de l'amour de Diotime ou par l'Odyssée de Ulysse, je pense (ergo sum -ha ha ha) vraiment que nous cherchons à l’extérieur ce que nous devrions chercher en nous et que tout le travail consiste à nous rendre compte de notre erreur. 

Références pour la première partie sur Platon :
- La méthode dialectique : www.ac-grenoble.fr (les explications du raisonnement)
- La dialectique de l'amour : lecture du Phèdre de Platon (spoiler)
Références pour la deuxième partie sur l'Odyssée :
- "Heureux qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage" - de Du Bellay
- La signification philosophique de l'Odyssée : selon Luc Ferry
- Le voyage d’Ulysse et ses interprétations : BNF
Illustrations :
- Sappho de Lesbos, d'après une peinture de 1904 par John William Godward.
[BONUS] - Sappho de Lesbos, d'après une peinture de 1904 par John William Godward.
[BONUS] - Fresque de Pompei : Portrait dit de Sapho - Musée de Naples, Italie.
[BONUS] - John William Waterhouse (en fait on... mais je laisse le nom pour vous intéresser !)
[BONUS]Dissection florale de Fong Qi Wei. 


C'EST BONUS ! J'en profite pour vous faire pré-découvrir : Sappho, poétesse grecque de l'Antiquité. 


Fresque de Pompeï (elle à l'aire trop choupi, non ?)

Et une partie d'une série d'oeuvre de Fong Qi Wei :

Chrysanthemum
Hydrangea
Quand je finis ce genre d'article j'ai juste envie de dire un truc : « Oh yeah ! »

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